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Françoise Oury Bangor Le coussin merveilleux |
Alors il faut que je te raconte celle
du "coussin merveilleux" qui s'est passé pendant
cette guerre, dans la belle province de Normandie. Eh bien là, non loin de la mer, dans une petite ville à la splendide cathédrale, une maman et ses deux enfants, Claudine et Jean-Pierre vivaient seuls, le père était à la guerre. Cette femme dont la santé était fort délicate aurait été une maman bien malheureuse si elle n'avait eu en sa petite fille, la plus dévouée, la meilleure des garde-malades. Claudine n'avait alors que huit ans et demi, et déjà, son petit air sérieux et décidé étonnait tout le monde. Elle était toute menue cette Claudinette.
le visage très petit et rond, le teint sombre comme celui
d'une petite arabe, les yeux un peu bridés et très
noirs, les sourcils obliques souvent froncés par les soucis,
un petit nez en boule, la bouche bonne et ses beaux cheveux retombant
sur ses épaules comme une belle auréole. Son frère Jean-Pierre, de quatre
ans plus jeune, était aussi blond qu'elle était
brune et ses yeux étaient gris. C'était un enfant particulièrement
doux et sage. Or, la fête de Noël arriva et avec elle le souci des cadeaux à offrir. **************** Claudine obtint la permission de fouiller
dans le tiroir aux chiffons, cacha mystérieusement ses découvertes
et pria sa maman de ne pas regarder ce qu'elle allait faire. Celle-ci
promit, et quoique sa petite fille travaillât tout près
d'elle, elle ne vit rien ; car les mamans ont ce privilège
de regarder sans voir quand il s'agit de faire plaisir à leur
enfant, mais elles ont aussi celui de voir sans regarder quand il
s'agit de punir une faute. Ecoute bien. Elle ne savait pas cette femme, que touchés par la tendresse filiale de l'enfant, deux beaux anges lumineux et transparents étaient descendus du ciel, et l'aidait dans l'accomplissement de sa difficile entreprise. L'un se tenant debout derrière
elle, la main droite posée sur son frêle poignet, faisait
tourner la roue de la machine à coudre. Son Compagnon, imperceptiblement,
guidait l'ouvrage sous son aiguille. c'est pourquoi Claudine a pu
travailler si longtemps et si bien. Eh bien voilà, il était
ovale et fait de satin bleu pâle. De beaux oiseaux des îles étaient
brodés en son centre et tout autour, un vaporeux volant bordé d'un
ruban de velours lui donnait un air précieux. **************** Un an passa. Et l'ennemi pour un temps
fut victorieux. Au reçu de cette nouvelle, notre Claudinette, bien qu'elle n'eut pas encore dix ans, se révéla une fois de plus, charitable et compréhensive : "On ne peut se réjouir quand on pense à toutes les femmes qui me reverront plus leur mari", dit-elle son petit visage crispé par l'émotion. Elle se réjouit pourtant du retour
de son papa, et la vie familiale reprit. Alors un homme sut par son patriotisme et sa "présence" galvaniser tous les courages, et tous les regards se tournèrent au-delà des mers, vers un grand pays qui lui avait promis son aide. Chacun savait que là-bas, des millions d'hommes forgeaient comme des millions de nains au service d'un géant, et ce géant, c'était la liberté. Enfin, le jour tant attendu arriva, tandis que très loin,
vers l'Est, une grande nation chassait avec un courage farouche,
l'ennemi commun qui
l'avait envahie. Imagine.... Sur la mer démontée par la tempête, des milliers de vaisseaux voguent vers les côtes normandes ; Au moment d'aborder, leurs flancs s'ouvrent et livrent passage à des armées ivres de courage... Imagine ce grouillement de vaisseaux
et d'hommes survolé par une multitude de monstres volants
au rugissement terrible, si variés de tailles, de formes
et de couleurs, si vivants, si rapides, qu'on ne saurait dire,
s'ils ont été créés par l'homme ou
par Dieu. Durant tout ce jour unique, pas un
instant notre pensée pleine d'espoir et de reconnaissance
ne quitta ces guerriers qui offraient leur vie pour notre libération. Ceux qui le peuvent s'enfuient sans regarder derrière eux. Les mains
des enfants sont broyées dans celles des parents qui les entraînent
hors de la ville. Sans prendre le temps de retourner la tête, chacun
se dit : Qui habitait ce tas de ruines ? qui ? on ne sait plus.
Au vol, ils saisissent un lourd morceau
de ferraille qui va tomber sur un chétif enfant ; au vol,
ils font dévier la chute d'une lourde pierre, qui fatalement
doit écraser une pauvre femme affolée. Et voilà comment tant de gens furent miraculeusement sauvés. OUI, je vois dans tes yeux que tu as deviné quil
allait être de nouveau question de nos deux beaux anges. Mais non, avec des gestes précis et gracieux,
ils en écartent les branches... Et que voyons-nous Seigneur
! une pauvre femme apeurée qui berce son enfant dans ses bras
tremblants... Ils se penchent vers la terre humide, arrachent les pousses dherbes, suppriment les brindilles, - Vois comme leurs mains sont blanches - Et sur le sol, déposent délicatement le joli coussin. Bien quils naient fait aucun bruit, déplacé aucun souffle, dair, la femme se sent plus rassurée. Elle ose enfin regarder autour delle et son regard sabaisse sur le coussin bleu. Sans chercher à comprendre - Cette nuit-là, que pouvait-on comprendre ? Elle remercie le ciel et couche tendrement le poupon sur les beaux oiseaux brodés. Puis elle sallonge à ses côtés et se tient un peu au-dessus de lui, afin de lui faire un rempart de son corps. car les mamans ont cette prétention touchante de se croire bouclier invulnérable quand leur enfant est en danger. Et tu vois, nous aurions dû nous en douter, le joli coussin ne servira plus désormais, qu'à soulager la fatigue des uns, à égayer la tristesse des autres. Ici, il sera l'oreiller bienfaisant d'une pauvre grand-mère couchée sur la paille dans une grange surpeuplée ; Là, au petit enfant malade que désole
le triste abri de branches et de plaques de tôle, dans lequel
on l'a tranporté, les oiseaux des îles raconteront
de belles histoires.
Noël 1944... Mais réconforter, n'est pas faire oublier. Et ce coussin qui a connu les bois, les tranchées,
la poussière et la pluie, ce coussin est plus joli que jamais
; Ses couleurs sont plus brillantes qu'au temps où la petite
fille le confectionnait. Les murs lépreux sont maintenant couverts d'écailles d'or, les guirlandes qui ornent, sont de feuilles d'or ciselé ; la table elle-même, est d'or massif et les loques clouées aux fenêtres sont de riches draperies d'or. Dans l'air palpitent des parcelles d'or... Que
cette lumière est douce et bienfaisante
! Et, tout à l'heure, quand les cloches appelleront grands et petits pour adorer le divin enfant, chacun oubliera, pour un moment, tant son émerveillement sera grand, sa misère et son chagrin même. Tout cela vois-tu ? Grâce à l'amour immense d'une petite fille pour sa maman. N'est-elle pas belle mon histoire ? |
Maison de Santé des Religieuses
Augustines de la rue Oudinot. |